Change de voie, choisis-toi. Le plus beau voyage, c’est celui qui te ressemble.
« Si tu prends le mauvais train, descends à la première station. Car plus tu attends, plus le retour te coûte cher. »
Le jour où elle a pris ce train, tout semblait logique. Le quai était bondé de gens pressés, chacun suivant une direction qui semblait tracée d’avance. Elle aussi, elle avait suivi le mouvement. Après tout, tout le monde montait à bord, alors pourquoi pas elle ? Et puis sa famille, ses amis, ses professeurs, tous lui avaient recommandé ce voyage, un peu comme un passage obligé.
Au début, tout allait bien. Elle est entrée, a trouvé sa place. Enfin, la place qu’on lui demandait de prendre. Le train filait vite, les paysages défilaient à une allure rassurante. Tout était comme on le lui avait dit : les sièges étaient confortables, les arrêts prévisibles, l’itinéraire parfaitement balisé. Il n’y avait pas de place pour l’imprévu, et ça la rassurait. Chaque chose était à sa place, chaque panneau indiquait un chemin clair, et elle n’avait qu’à suivre le rythme. C’était ce qu’on attendait d’elle, ce qu’elle attendait d’elle-même. Rester assise, avancer droit devant, ne pas se poser de questions.
Mais au fil des stations, quelque chose apparut. Un brouillard. D’abord imperceptible, il s’imposa peu à peu, jusqu’à ce qu’elle ne voie plus que lui. Le brouillard étouffait et engloutissait chaque relief, chaque couleur, chaque détail révélant l’unicité des paysages.
Un malaise, d’abord léger, s’installa en elle puis plus pesant. Elle sentait son coeur se serrer, son esprit s’embrumer, comme si son corps lui rappelait bien trop fort où elle était. Ou plutôt là où elle n’était pas. Parce que ce n’était pas son train. Ce n’était pas son voyage.
Elle regarda les visages autour d’elle : certains semblaient parfaitement à leur place, d’autres hésitaient, mais restaient assis malgré tout. Comme elle. Parce que descendre, c’était effrayant. Parce que quand on est lancé à pleine vitesse, l’idée de freiner donne le vertige. Parce que descendre, mais pour aller où ? Parce que descendre, c’était peut-être la plus grosse erreur de sa vie.
Et puis, il y avait cette voix dans sa tête : Tu as déjà parcouru tant de kilomètres. Si tu descends maintenant, tout ça aura été en vain. Et prends sur toi, ça ira mieux à la fin, quand tu arriveras au terminus.
Alors elle est restée. Encore une station. Puis une autre.
Jusqu’à ce qu’un choc secoue le train. Une secousse, un signe. Pas un accident, non. Juste une prise de conscience brutale : plus elle attendait, plus le retour serait douloureux.
Alors, elle s’est levée. De nouveau, elle sentit son cœur. Cette fois-ci, il cognait contre sa poitrine afin qu’elle n’écoute que lui. Ses jambes, dernier lien entre son corps et le regard des autres, tremblaient comme un ultime rempart, luttant pour la retenir ici. Elles vacillaient, suppliaient, lui murmuraient dans leur tremblement que ce n’était pas le bon chemin, qu’elle n’avait pas la force, qu’elle devait rester. Mais quand les portes se sont ouvertes, elle a sauté sur le quai, inspirant pour la première fois depuis longtemps un air qui ne sentait pas la résignation.
Le train est reparti sans elle. Elle l’a regardé disparaître dans le brouillard. En elle, une peur indescriptible d’avoir fait le mauvais choix, de regretter. Mais pas de regrets. Pas de peur. Pas de doute. À ce même instant, elle observa la station où elle était descendue : c’était la première fois depuis longtemps qu’il n’y avait plus de brouillard.
Pendant un instant si bref, elle goûta au plat préféré de la Vie. La liberté.
Elle ne savait pas encore quel serait son prochain train, ni même si elle en prendrait un tout de suite. Mais une chose était sûre : elle ne ferait plus semblant. Parce qu’aucun voyage, aussi long soit-il, ne vaut la peine d’être poursuivi si ce n’est pas le bon.
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Changer de voie, ce n'est pas abandonner. C'est refuser de se perdre et s'offrir la chance de repartir dans la bonne direction.